L’affaire Stavisky en 1934 a fortement secoué les institutions françaises et le barreau de Paris.

En effet, plusieurs incidents ont éclaté à la suite de ce célèbre scandale politico-financier, qui impliquait des financiers, des parlementaires et des avocats.

Le 6 février 1934 se déroulent à Paris plusieurs manifestations antiparlementaires, à l’initiative de groupes de droites, d’associations d’anciens combattants et de ligues d’extrême droite pour protester contre le limogeage du préfet de police Jean Chiappe, à la suite de l’affaire Stavisky. Jean Chiappe était connu pour être proche des milieux monarchistes et pour avoir réprimandé les manifestations communistes. Edouard Daladier, alors président du Conseil, l’accusait d’avoir freiné l’instruction de l’affaire Stavisky. Les manifestations de soutien, appuyées par une presse indignée par cette mutation du préfet (la LibertéL’Ami du peupleL’IntransigeantL’Écho de Parisle Petit Parisien) se déroulent sur la place de la Concorde, et sont fortement réprimandées par le ministre de l’Intérieur Eugène Frot, avocat parisien, entraînant des morts et de nombreux blessés (15 avocats arrêtés et blessés dans la nuit).

Portrait d’Eugène Frot. Cliché Novaro. Vers 1943.

Le 7 février au Palais, la colère gronde contre Eugène Frot, accusé d’avoir donné l’ordre aux policiers de tirer et même d’avoir organisé des provocations. Des avocats demandent sa radiation. Le bâtonnier Saint-Auban tente de calmer les esprits : « si, comme on me l’affirme de tous côtés, des meurtres inexplicables ont été commis par ordre du gouvernement, et en particulier par ordre militaire du ministre de l’Intérieur, une question grave se pose, que vous vous posez avec moi, car il ne faut pas sortir du cadre de nos limites professionnelles » ; en vain.

Quelques minutes après ce discours, des confrères vont chercher la robe de Me Frot, écrivent dessus en rouge « Assassins » et la brûle, dans la salle des Pas-Perdus du Palais (l’histoire établira plus tard qu’il ne s’agissait pas de sa robe mais de celle d’un confrère ayant la toque à côté de la sienne). « Une foule de robes noires se précipite au bout de la galerie, car là on aperçut un avocat, Me Chatenet, qui est député. Assassin ! Assassin ! Assassin! On le dégage » rapporte le Figaro du 9 février 1934. Egalement, deux avocats, Me Dutheillet de la Mothe et Gabriel Olivier montent sur les toits du Palais, arrachent leur épitoge et la noue sur le drapeau qu’ils mettent en berne.  Les manifestants sont dispersés par la Garde républicaine, et 13 avocats sont transférés au dépôt.

« La colère de mes confrères est justifiée par les assassinats qui ont été commis hier » dira le bâtonnier st Auban au procureur général Donat-Guigue.

 

 

Le 9 février, l’inscription « Ci-gît l’honneur de Frot ! » tracée la veille en lettres bleues sur un mur de la galerie marchande n’a pas été effacée. Le bâtonnier Saint Auban et le Conseil de l’Ordre proclame dans une décision, reproduite par une partie de la presse : « Il [le Conseil] adjure ses confrères, quelles que soient leurs opinions, de s’unir dans ces sentiments. Il leur rappelle que les passions politiques et religieuses ne doivent jamais franchir le seuil du barreau et risquer de troubler le prétoire ». L’association des Secrétaires et anciens Secrétaires suit la proclamation du Conseil de l’Ordre et demande au Barreau « d’enjoindre à MM. Paul Boncour, Pierre Cot, Guy la Chambre [alors membres du gouvernement] de se désolidariser dans les vingt-quatre heures du gouvernement qui a fait tirer sur le peuple, en les informant, que faute par eux de le faire, ils seront chassés de l’association » (Le Journal 9 février 1934).

L’accalmie n’est que de courte durée puisque des rumeurs hostiles aux avocats parlementaires apparaissent de nouveau dans la salle des Pas-perdus. Me Moro-Giafferri tente de calmer ses confrères : « respectez votre robe, dit-il, ne transformez pas en champ de bataille le palais de la Justice ».  Il est applaudi, mais après quelques minutes de calme, le tumulte reprend ; plusieurs incidents entre confrères ont été rapportés au bâtonnier et la rue, « curieux paisibles ou agitateurs » investit la galerie au cris de : « A bas Stavisky ! A bas les voleurs ! A bas les parlementaires ! A bas les avocats ! » (Le Figaro, 9 février 1934).

Après enquête, Eugène Frot sera suspendu 6 mois du Barreau de Paris en mai 1934. Ces évènements de février 1934 aboutissent le lendemain à la chute du gouvernement Daladier et la réintégration de Jean Chiappe comme préfet de police.

Au lendemain du 7 février s’est fondé au Palais un groupe d’avocats qui se propose de maintenir l’esprit de ceux, qui le 6 février, demandaient place de la Concorde, l’honneur et la propreté, et qui, le 7 février chassaient du palais les avocats indignes. Ce groupe comprend des avocats de toutes tendances politiques. A la rentrée de septembre, ils déposent une couronne en l’honneur du conseiller Prince assassiné. Puis chaque année, ils se regroupent et vont déposer une gerbe de fleurs d’abord au pied du « pilier Frot » dans la salle des Pas Perdus puis sur la place de la Concorde, avec en tête du cortège, l’avocat Georges Wagner.

Palais de Justice, 7 février 1934 : Manifestations d’avocats dans la Galerie marchande, le bâtonnier en exercice Emile de Bruneau de Saint Auban (1858-1947), prend la parole. Donation Marcel Poignard, 1966.

Ce groupe a eu un grand succès aux élections du Conseil qui suivirent, de nombreux candidats se réclamaient de lui.

En juin 1934 se déroulent les élections au Conseil de l’Ordre, dans ce contexte particulier des événements du début d’année : quatre postes sont en effet à pourvoir, quatre membres du Conseil ayant terminé leur mandat conformément à la tradition. Egalement, vingt membres sortants sont rééligibles. Une centaine de confrères ont candidaté, dont nombreux sont ceux qui « ont exprimé le désir de faire compter leur voix » (L’Echo de Paris, 29 juin 1934). Ces élections revêtent un caractère innovant car c’est la première année où fut utilisée une machine à calculer, servie par un technicien, facilitant les opérations. Auparavant, l’appel des noms et le collationnement des suffrages étaient effectués par des membres du barreau « qui unissaient à la bonne volonté des dons de calculateurs rapides qui en faisaient des émules d’Inaudi [en référence à Jacques Inaudi, connu pour une étonnante mémoire des chiffres] » (L’Echo de Paris, 29 juin 1934).

 

Extrait des Annales du 6 février 1934.

 

Cindy Geraci, directrice du Musée.

Bibliographie :

Le Petit Journal 8 février 1934

Le Petit Parisien 8 février 1934.

Le jour 8 février 1934

Le Journal, 9 février 1934

Le Journal, Echo de Paris, 9 février 1934

Le jour, 10 février 1934

La Liberté 2 juillet 1934

L’Echo de Paris 29 juin 1934

L’Action française, 4 novembre 1934

L’Action française, 5 novembre 1934