Pierre Georges Lepaulle voit le jour le 17 mai 1893 à Verneuil sur Avre dans le département de l’Eure. Il grandit dans une famille de notables, puisque son père, Alfred, était notaire. Après une enfance à Conches, il entre au lycée d’Evreux, obtient son baccalauréat et poursuit des études en lettres et en droit : il sera licencié es lettres (en section philosophie) et bachelier en droit.

Portrait de Pierre Lepaulle. Harvard School Université.
Il a 20 ans en 1913, âge du service militaire. Ce jeune homme, aux cheveux noirs, yeux bleus mesurant 1,72 m est appelé à l’activité le 28 novembre 1913, au 23e régiment de dragons, unité de cavalerie. Il arrive le 2e jour comme cavalier de 2e classe. Il effectue son service durant deux ans, ce alors que la Grande Guerre est déjà commencée. Il part aux armées le 13 janvier 1915, ce qui lui vaudra la promotion de brigadier en juin puis maréchal des Logis en décembre. Il combat en Belgique puis de Arras à Verdun et Noyon. Il rentre au dépôt en venant du front le 19 janvier 1918, puis intègre le 2e régiment de cuirassiers, le 19 avril avant de passer au 7ème régiment de cuirassiers le 6 juin 1918.
Les militaires aux armées ayant eu le droit de reprendre leurs études en 1918, il obtient sa licence de droit le 29 juin, et s’inscrit au barreau de Paris auquel il prête serment le 10 juillet. Et repart au combat. Il sera blessé en octobre 1918 et soigné à l’hôpital militaire Dominique Larrey à Versailles pour un problème oculaire, alors qu’il réussit son examen militaire à St Cyr. Il rejoint le front le 29 octobre pour y rester jusqu’à sa démobilisation le 1er septembre 1919, où il termine aspirant au 4e régiment de cuirassiers qu’il avait intégré le 5 juillet 1919. Il obtiendra la croix de guerre.
Alors qu’il n’est pas encore démobilisé, il bénéficie sur concours ouvert par le Conseil supérieur de l’Université de Paris d’une bourse offerte par les étudiants américains de Paris et d’une bourse David Weill pour étudier le droit comparé aux Etats-Unis. Sur les conseils du bâtonnier Mennesson avec qui il s’était entretenu, Pierre sollicite un congé renouvelable auprès de son Ordre : en effet, il écrira dans une lettre au bâtonnier en 1924 que la durée de son séjour aux Etats Unis dépendait du renouvellement des bourses, ce qui était aléatoire. Celles-ci lui seront renouvelées en 1920 et 1921.
Pierre embarque le 5 septembre 1919 pour les Etats Unis où il étudie 3 ans, d’abord à Cornell, puis à Harvard. Il obtiendra les grades de « lecturer » (Université de Cornell) et « fellow », avant d’être couronné par le titre « S.J.D » Scientae Juridicae Doctoris ». Il tissera des liens amicaux et professionnels avec John Forster Dunes (avocat d’affaire et diplomate) et Dean Acheson, probablement rencontré à Harvard (avocat et diplomate), qui l’ont introduit dans la vie américaine.
Il rentre en France en octobre 1922 et devient membre de la société de législation comparée. Cette association loi 1901, regroupant des avocats, des universitaires et des magistrats, français et étrangers, a été fondée en 1869 par les avocats Alexandre Ribot (1842-1923) et Paul Jozon (1836-1881) et a pour objet « l’étude des lois des différents pays et la recherche des moyens pratiques d’améliorer les diverses branches de la législation » (article 2 des statuts).
Paul se fait remarquer parmi ses confrères au début de l’année 1923 par sa publication sur « les tendances de l’unification du droit aux Etats-Unis ».
En octobre 1924, il adresse une demande de prolongation de son stage qui expire en cette même année : « bien qu’inscrit au stage en juillet 1918, je n’ai commencé à assister qu’aux conférences qu’en novembre 1922 ». En effet, la durée du stage avant l’admission au tableau d’une durée de 3 ans était alors soumise à conditions : stage chez un agréé ou un avoué, et assiduité aux séances de la conférence et aux réunions de colonnes. Mais Pierre était parti étudier à l’étranger. Entre sa mobilisation et son séjour aux Etats-Unis, Pierre n’a pas pu participer au concours de la conférence, concours dont il ignorait d’ailleurs l’existence jusqu’en 1924 et qu’il souhaite passer pour l’année 1924-1925.
Pierre sera inscrit au tableau des avocats à la Cour d’Appel de Paris le 25 novembre 1924, à compter du 10 juillet 1918 (effet rétroactif).
Jusqu’à la Seconde guerre, il mènera de front son cabinet florissant, sa vie universitaire et sa vie personnelle. En 1925, il crée à la salle de droit comparé de la faculté de droit de Paris, un cours de terminologie juridique anglo-américaine. Il poursuivra cet enseignement à partir de 1933 à l’Institut de droit comparé de l’Université de Paris, où il assumera plus tard le cours d’introduction au droit anglo-américain.
Il continue ses recherches en législation comparée, écrit et publie de nombreux articles, participe à de nombreuses conférences. Ses travaux juridiques et judiciaires s’internationalisent et lui acquièrent une belle renommée.
Côté personnel, il épouse à Paris le 25 août 1926 Renée Marie Suzanne Berthe Hainneville. Fille d’industriel, Renée a également étudié le droit à Paris et a prêté serment au barreau le 11 février 1926. Elle se spécialisera particulièrement dans le droit d’auteur. De cette union, naîtront deux filles : Martine née en 1935 et Marie-Laure en 1937, malheureusement décédée en 1949 d’une cardiopathie rhumatismale.
Pierre poursuit également durant les années 1930 sa carrière militaire : il est promu sous-lieutenant de réserve par le décret du 24 janvier 1925 et affecté au 19e dragons, puis lieutenant de réserve en 1930 (décret du 18 mai 1930). Avant le début de la Seconde guerre, il est attaché 1ere classe du cadre auxiliaire du service de l‘intendance en 1932, affecté à la région de Paris. Son engagement est tel qu’en 1938 il est le vice-président de l’amicale des anciens du 23e dragons.
La famille Lepaulle exerce et vit à Paris. Ils sont également propriétaire de plusieurs bungalows en bord de Seine à Vulaines-sur-Seine, en aval du pont de Valvins (environ 65 km de Paris, après Fontainebleau). Ils y recevaient leurs amis et leurs clients, notamment les Américains.
Il est mobilisé début septembre 1939 comme intendant militaire adjoint à l’inspection générale de l’habillement, ministère de la Guerre, et cesse en conséquence de s’occuper de son cabinet. Il transmet le relais à sa femme Renée. Etant avocat d’affaires, Pierre Lepaulle travaillait avant le conflit avec de nombreuses sociétés, filiales d’entreprises allemandes, ce qui pouvaient à terme poser quelques difficultés. Sa femme Renée écrit donc au bâtonnier le 30 septembre 1940 pour l’informer qu’elle a en sa possession « un certain nombre de dossiers qui peuvent être considérés ou risquent d’être considérés comme allemand » ; elle cite des sociétés belges et allemandes dont il était l’avocat. « Je vous serais reconnaissante de bien vouloir me faire savoir si je peux conserver ces dossiers et dans quelles conditions ». La réponse de l’Ordre ne figure pas dans le dossier.
Les époux Lepaulle n’ont eu aucune difficulté avec les lois sur la nationalité de 1940. Ils ont durant la période poursuivi leur profession d’avocat, se tenant hors de la politique et en dépit des liens avec plusieurs de leurs amis d’origine israélite. Pierre poursuit sa spécialité en droit international privé, écrivant plusieurs articles notamment dans la revue internationale de droit privé.
En 1943, Pierre Lepaulle publie un article dans la Gazette du Palais sur l’aryanisation des entreprises, dans laquelle il exprime être favorable à l’aryanisation mais opposé à la liquidation de ces dernières. Cette prise de position et son activité d’avocat auprès des entreprises lui ont valu, à la Libération, d’être arrêté par les F.F.I. Le Conseil de l’Ordre en 1945 a donc dû étudier les faits reprochés. Il lui a été fait grief d’avoir au cours des années 1940 et 1941 et début de l’année 1942 apporté son concours à des ressortissants allemands, et notamment d’avoir donné des consultations à une firme allemande, la Tobis, dont l’activité était consacrée à projection de films dans les cinémas français. Cette entreprise était indépendante entre 1927, date de sa création, et 1942 et a eu un rôle majeur dans la production de films durant la période nationale-socialiste.
Sur le rapport de Camille Bernard, le Conseil, en sa séance du 10 avril 1945, reconnaît que ces contacts occasionnels pouvaient portés à confusion, au vu de la situation et du fait qu’en divers circonstances Pierre Lepaulle a témoigné de son indépendance et de son courage en soutenant publiquement, et non sans danger, des thèses opposées à celles que prétendaient opposer les autorités d’occupation, le Conseil de l’Ordre prononce l’acquittement de Pierre.
En 1944, ils perdent leur gouvernante Henriette résidant alors dans la propriété de Vulains, morte sous les bombardements du pont le 17 août ; Martine Lepaulle était dans ses bras et n’a été heureusement que légèrement blessée.
A la Libération, Pierre Lepaulle a été appelé en qualité professionnelle à certifier que la signature du Général de Gaulle engageait la France à un moment où ce dernier était chef du gouvernement provisoire. A la fin de la guerre, cet homme au tempérament stoïque et qualifié de discret par ses amis, n’a jamais demandé de décorations.
En 1946, il se rend à Nuremberg avec le bâtonnier Marcel Poignard ; il lui suggère d’admettre Charles Jeantet au Barreau. Il réitérera cette demande au bâtonnier quelques mois plus tard par écrit
Après la guerre, Pierre poursuit sa carrière d’avocat d’affaires. Une terrible épreuve survient dans la famille : Marie Laure décède d’une maladie en 1949. Pierre et sa femme décident alors de créer aux Etats-Unis le « Marie-Laure Fond » consacré à l’aide aux enfants atteints du mal qui avait emporté leur fille. Ils fondèrent également en 1956 en France, avec le Professeur Robert Debré, la Société d’Etude et de Soins pour les Enfants atteints de Rhumatisme Articulaire Aigu (SESERAC), reconnue d’utilité publique en 1960.
Il poursuit également ses travaux de réflexion sur le droit comparé au sein de la société d’études de législation comparée qu’il avait rejoint en 1922. Il en deviendra vice-président en 1961.
Les années 1950 furent très importantes et très riches dans l’activité et la vie de Pierre Lepaulle. En 1954, après la fusion des entreprises SIMCA-FORD en France, première dans la France des affaires, Pierre Lepaulle créera un important cabinet spécialisé dans le droit franco-américain. Profitant du décret de 1954 permettant aux avocats de s’associer, il s’associe avec Fernand Charles Jeantet en 1958. Lors de la séance du 16 décembre 1958, le Conseil de l’Ordre valide cette association. Ils furent les premiers avocats à bénéficier du décret de 1954.
En 1960, il cesse d’exercer donc rue Iéna et s’installe avec son confrère au 89 avenue Kléber. Son épouse Renée Lepaulle continue d’exercer rue Iéna, également adresse du domicile conjugal des époux Lepaulle.
En 1963, Willem Stevens (LL.M. ’63) d’Amsterdam et Heinz Bongart (LL.M. ’63) de Cologne sont rentrés de Cambridge avec l’idée de réunir les anciens étudiants de la HLS en Europe en organisant une association européenne de la Harvard Law School. Après avoir reçu l’approbation de la faculté de droit et mis à jour les adresses de tous les anciens étudiants de la HLS, il forme le conseil d’administration de cette association et demandent à deux anciens élèves, Pierre Lepaulle et Kenneth Lavoy de faire partie de ce conseil, ce qu’ils acceptent : Pierre Lepaulle est président, Kenneth LaVoy Jr est membre, Willem Stevens, secrétaire, et Heinz Bongart, trésorier. La Harvard Law School Association of Europe a été officiellement fondée à Paris le 16 octobre 1965.
En 1978, Pierre exerce au barreau depuis 50 années. Il recevra sans célébration sa médaille, son état de santé l’obligeant à rester chez lui. : « le temps qui passe est événement trop insignifiant pour provoquer une célébration quelconque » écrira-t-il au bâtonnier Pettiti.
Il s’éteindra le 13 mars 1979, quelques mois après son épouse, « laissant le cabinet prestigieux qu’il avait fondé, et dans la mémoire de l’Ordre l’exemple d’un juriste qui, au service du droit international, avait bien servi la culture française » (Revue de la Société de Législation comparée, 1979).
Cindy Geraci.
Sources
ODA
Dossiers administratifs de Pierre Lepaulle ; Charles Jeantet et Renée Marie Suzanne Berthe Lepaulle née Hainneville.
Autres sources
Archives départementales de l’Eure.
Registre matricule n°261 Evreux 41 R 114 , 1913 , Evreux.
Archives de Paris
Marie Laure Lepaulle : Acte de décès 16D183 1949
Généanet
– Arbre généalogique de jeanlevantal : « Renée » Marie Suzanne Berthe(dite Poucette) HAINNEVILLE
– Arbre généalogique de Brenda Ferreira : Grégoire Michel Bernard Georges Levantal ; Aliette Geneviève Marie Hortense Gabrielle Carré
Gallica-BNF-Retronews
19 septembre 1920 : il écrit des lettres pour le journal la Liberté « lettres d’Amérique » ; 1er article sur les élections présidentielles aux Etats -Unis :
1923 : constitution des sociétés étrangères aux Etats-Unis
1928 : sa femme est admise au comité France Amérique présentée par la vicomtesse de Salignac-Fénélon et Juliette Veiller.
1933 : American Women’s club
Au sujet de son livre : Le Temps, 27 février 1935
1935 : réforme de la justice, article de Pierre Loewel se référant à Lepaulle et son livre.
5 juillet 1935 : annonce naissance de sa fille Martine le 1er juillet dans International Herald Tribune.
1938 : vice-président de l’amicale des anciens du 23e dragons.
1943 : article sur l’aryanisation des entreprises.
Pierre Lepaulle, Avocat à la Cour, « L’aryanisation des entreprises« , Gaz.Pal. 1943-2, p. 10.
Les successions ab intestat en droit international, Nouvelle revue de droit international privé : tous les aspects de la vie juridique internationale de l’individu, 1er janvier 1943




