L’affaire Dreyfus – 5e partie

Aucune révision du procès de Rennes n’était possible sans l’établissement de faits nouveaux. Dreyfus et ceux qui ont décidé de continuer le combat avec lui attendent 1903 pour agir à nouveau : les 6 et 7 avril, Jaurès prononce à la Chambre un véritable plaidoyer en faveur de Dreyfus.

Le gouvernement accepte que le ministre de la Guerre, le général André, procède à une nouvelle enquête. Assisté du capitaine Targe, André étudie personnellement le dossier et découvre que plusieurs documents évoqués au procès de Rennes sont des faux. Le gouvernement invite alors Dreyfus à présenter une requête en révision. Le 5 mars 1904, cette requête est déclarée recevable par la chambre criminelle de la Cour de cassation. La juridiction suprême entreprend alors une longue et minutieuse enquête. Conformément à la loi de dessaisissement (qui ne sera abrogée qu’en 1909) la chambre criminelle transmet le dossier aux chambres réunies. Celles-ci s’assemblent en audience publique le 18 juin 1906 et les jours suivants. Après le rapport du conseiller Moras, le Procureur général Baudouin requiert pendant huit audiences ; Me Henry Mornard, avocat de Dreyfus, plaide ensuite durant trois jours. Le 12 juillet 1906, le Premier Président Ballot-Beaupré donne lecture de l’arrêt qui met un terme définitif à l’affaire Dreyfus ; la Cour de cassation affirme notamment que « de l’accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout, et que l’annulation du jugement du Conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse, à sa charge, être qualifié crime ou délit ». Elle annule en conséquence le jugement du Conseil de guerre de Rennes sans renvoyer à nouveau l’affaire : après douze ans de lutte judiciaire, Dreyfus est enfin déclaré innocent. Deux lois réintègrent aussitôt Picquart et Dreyfus dans l’armée.

Quelques jours plus tard, Dreyfus est décoré de la légion d’honneur à l’Ecole militaire. Les passions ne sont pas éteintes pour autant : en 1908, lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon, le journaliste Grégori tire sur Dreyfus, qu’il blesse au bras. Traduit en Cour d’assises, Grégori sera triomphalement acquitté…

Dès 1907, Dreyfus avait fait valoir ses droits à la retraite. Mobilisé de 1914 à 1918, il termine la guerre avec le grade de lieutenant-colonel. Il se tiendra autant que possible à l’écart de la vie publique, menant une existence retirée au sein de sa famille. Il meurt le 12 juillet 1935, à l’âge de soixante-quinze ans.

Lettre Matthieu Dreyfus à Alfred 9 janvier 1903, concernant la préparation de sa demande en révision du jugement de Rennes.

(Acquisition 2019).

« Mon cher Alfred,
J’ai reçu ta lettre de l’autre jour à laquelle je n’ai pas voulu répondre avant de connaître le contenu de celle que tu m’annonçais par l’entremise de Paul… Celui-ci vient de me faire remettre tes deux lettres. Mon sentiment est que les conditions actuelles sont favorables à l’action. Attendre plus longtemps, ce serait affaiblir singulièrement ta cause. En demandant une enquête énergique, approfondie au gouvernement, tu exerces un droit, tu fais ton dossier – a celui-ci de faire le sien. Le lendemain du jour ou tu auras vu Jaurès, rends toi chez Clémenceau et montre lui la déposition de Dumas. Il est indispensable que Clemenceau voie, comme les aura vus Jaurès, les éléments dont nous disposons actuellement et tu ne peux pas montrer moins de confiance à l’un qu’à l’autre. Et dans ta conversation avec Clemenceau, je te conseille vivement de lui parler de son frère.

Ne réponds pas à Reinach avant quelques jours. Car si CL [Clemenceau] et Jaurès consentent à faire la démarche collective que tu vas leur demander (aux Buisson, si celui-ci est accepté par les deux autres) la question P… [Picquart] se trouvera incluse dans l’enquête à faire par le gouvernement. Il suffira de la signaler à ces deux amis. Mais si Clémenceau et Jaurès se refusent à faire la démarche, je ne vois pas d’inconvénient à confier la question P… à Reinach et à Brisson. Et si possible aux deux ensemble.
Je ne vois aucun inconvénient, si rien n’aboutit actuellement, à l’envoi de ta lettre à ton avocat.
Lorsque l’affaire sera définitivement engagée, je serai à ton entière disposition. Mais il faut insister sur ceci : « l’enquête sera ce que seront les enquêteurs ». La première personne à faire interroger est Marle. Ne l’oublie pas.
Je n’ai pas écrit à Clémenceau. Il vaut infiniment mieux que tu le vois. S’il est nécessaire que j’intervienne, je le ferai, mais je pense que ce sera inutile.
Je t’embrasse,

Mathieu ».

Me Henry MORNARD (1859 – 1928)

Fils d’avoué, Henry Mornard est premier secrétaire de la conférence de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation en 1890-1891. Il devient avocat aux Conseils en 1892. Six ans plus tard, il entre dans l’affaire Dreyfus : avocat de Zola, il obtient en avril 1898 la cassation de l’arrêt de la Cour d’assises qui avait condamné l’écrivain pour « J’accuse ». La même année, il défend avec succès la recevabilité de la requête en révision du procès de 1894. En 1899, il obtient la cassation du jugement du Conseil de guerre de 1894.

Après la nouvelle condamnation prononcée à Rennes, il assiste à nouveau Dreyfus, d’abord pour faire déclarer recevable la nouvelle requête en révision qu’il dépose (1903-1904), puis pour demander la cassation sans renvoi du jugement du Conseil de guerre de Rennes (1906). Le mémoire qu’il présente à cette occasion et qui fait plus de 700 pages, constitue, pour reprendre l’expression de M. Jean-Denis Bredin, « le document le plus complet, le plus précis et le plus clair établi pour la défense de Dreyfus ».

Durant l’Affaire, Henry Mornard reçut des menaces de mort et fut violemment attaqué par la presse antidreyfusarde qui le surnommait « Mornhardt le Prussien ». Il resta toujours à l’écart des passions politiques suscitées par l’affaire, se contentant d’être un artisan aussi discret qu’efficace de la révision.

Henry Mornard sera Président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de 1913 à 1919.

Portrait de Henry Mornard, par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

Extrait de la plaidoirie de Me Henry Mornard. Affaire Dreyfus.
Deuxième révision. Plaidoirie de Me Mornard. […] Audience des 5,6 et 7 juillet 1906.
Paris, Editions Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen, 1906.

Dessin satirique de Eyram montrant Alfred Dreyfus portant sur son dos la croix de la Légion d’honneur sur un chemin qui part, à droite de l’île du Diable pour aboutir à gauche à une borne kilométrique marquée « Paris 1906 ».
Carte postale datée de 1906. Tirage limité. Acquisition 2019.

La réhabilitation de Dreyfus : le commandant Dreyfus va reprendre sa place dans le rang.
Carte postale d’Ernest Le Deley, 1906. L’éditeur Le Deley a publié une série de six cartes postales sur l’événement.
La présente carte est la sixième de la série.

Acquisition 2010.

Dreyfus est chevalier de la Légion d’honneur le 21 juillet 1906. Les insignes lui sont remises à l’Ecole militaire, où il avait été dégradé douze ans plus tôt. Le commandant Targe, décoré en même temps que Dreyfus, est l’un de ceux qui a permis, par la découverte d’éléments nouveaux, la révision du procès de Rennes.
L’Illustration, n°3309 du 28 juillet 1906.

« Le procureur général Baudouin blanchissant Dreyfus au blanc de ses ruses ».
Carte postale satirique. Vers 1904. Acquisition 2019.

Alfred Dreyfus, Cinq années de ma vie. 1894-1899, Paris, Eugène Fasquelle,1901. Don de Jean Brack, sans date.
Exemplaire avec mention manuscrite sur la page de garde « Hommage de l’auteur Alfred Dreyfus ».
Récit écrit d’après un cahier qu’il tenait lorsqu’il était au bagne.

Carte postale de félicitations pour sa réhabilitation, adressée à Alfred Dreyfus, 13 juillet 1906, par un habitant d’Amsterdam.
Acquisition 2019.

L’affaire Dreyfus, Impression en couleurs. Film britannique de José Ferrer avec José Ferrer, Anton Walbrook, Emlyn Williams, Leo Genn, David Farrar. Durée : 1h40 – Réalisé en 1957 et sorti en 1958. Acquisition 2014