L’affaire Dreyfus – 4e partie

Le procès de Rennes s’ouvre le 7 août 1899 et dure un mois. Dreyfus a pour avocats Edgar Demange (son défenseur de 1894) et Fernand Labori, qui joue un rôle majeur au sein des dreyfusards depuis le procès Zola. Les deux hommes conçoivent leur rôle d’avocat très différemment :

Vitrine d’exposition sur le procès de Rennes, 2019.

Demange, qui reste avant tout l’avocat d’Alfred Dreyfus, est partisan d’une défense prudente et modérée, susceptible de se concilier les bonnes grâces du Conseil de guerre.

Labori, comme beaucoup de dreyfusards, considère qu’il s’agit moins du procès d’un homme que d’une affaire de principe, mettant en jeu les droits de l’Homme : l’acquittement de Dreyfus doit être la reconnaissance par l’armée de l’erreur qu’elle a commise en croyant pouvoir sacrifier un homme à la raison d’Etat ; l’avocat de Zola n’est nullement disposé à faire des concessions et soupçonne Waldeck-Rousseau, proche de nombreux dreyfusards, de chercher à clamer le jeu pour éviter une rupture entre la République et l’Armée. Le 14 août, Labori est victime d’un attentat. Blessé par balle, il n’en revient pas moins à l’audience une semaine plus tard. Les dreyfusards rendent hommage à son courage mais, lorsqu’arrive le moment de plaider, beaucoup ne cachent pas leur crainte : l’agressivité de Labori ne risque-t-elle pas de compromettre les chances d’acquittement ? Labori, informé de ces réticences, décide de ne pas plaider, laissant son confrère Demange affirmer qu’il suffit de douter de la culpabilité de Dreyfus pour l’acquitter. La modération de Demange ne produira pas l’effet espéré : Dreyfus est à nouveau déclaré coupable, avec circonstances atténuantes, et il est condamné à dix ans de détention.

Soucieux d’en finir avec l’affaire, Waldeck-Rousseau parvient à imposer la solution de la grâce présidentielle : Dreyfus retrouve ainsi la liberté mais se reconnait en même temps coupable… Beaucoup de dreyfusards, dont Labori, n’admettent pas un tel compromis et prennent leurs distances avec Dreyfus. D’autres, comme Demange, approuvent au contraire cette décision qui permet à Dreyfus de rétablir une santé très compromise.

En décembre 1900, Waldeck-Rousseau fait voter une loi d’amnistie sur tous les faits se rapportant à l’affaire Dreyfus, achevant ainsi de démobiliser dreyfusards et antidreyfusards. L’Affaire cesse d’être une question d’actualité pour les Français, désormais passionnés par l’exposition universelle et bientôt par la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Entouré de quelques fidèles, Dreyfus va devoir encore lutter six ans avant d’obtenir de la Justice française la reconnaissance de son innocence.

Conclusions des experts

Extrait du dossier de plaidoirie de Fernand Labori pour la défense d’Emile Zola.

Gabriel Monod (1844-1912)
Cet historien, diplômé de l’Ecole pratique des Hautes-Etudes, a eu accès, avant ses collaborateurs, aux documents sur lesquels repose la condamnation de Dreyfus. Il acquiert la certitude que le document accablant est un faux et devient dreyfusard.

Alphonse Bertillon (1853-1914)

Fondateur du premier laboratoire de police d’identification criminelle et créateur de l’anthropométrie judiciaire.

Pendant l’affaire Dreyfus, Bertillon est invité, à la demande de l’accusation, insatisfaite des conclusions des premiers experts graphologues, à intervenir dans le débat qui doit décider si l’écriture du fameux bordereau est ou non celle du capitaine Dreyfus. Sous la pression de l’armée, il affirme que Dreyfus est bien l’auteur du bordereau. Lors du procès de 1899, Bertillon fait une déposition durant plus de dix heures, s’étalant sur deux jours : il expose au Conseil de Guerre sa méthode savante qui lui a permis d’identifier Dreyfus comme auteur du bordereau. Il démontre que le bordereau est une pièce forgée, qu’elle n’a pu l’être que par Dreyfus lui-même et qu’il a été fabriqué à l’aide d’un calque et d’un mot clé emprunté par Dreyfus à l’écriture de son frère.

Cette méthode avait été contestée, lors du premier procès, par des scientifiques renommés.

Il faudra attendre 1904 et la nomination de 3 nouveaux experts par la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour analyser le bordereau pour que ces derniers condamnent fermement cette théorie.

Portrait de Bertillon, par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

La clé de l’affaire Dreyfus ; étude graphologique sur l’écriture du Commandant Esterhazy, vers 1897.
Affiche « Paris. – Imprimerie Paul Lemaire. 14 rue Seguier ». Acquisition 2013.

Vitrine d’exposition sur le procès de Rennes, 2019.

« Le dossier » par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

« Salle d’audience », par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

Fernand Labori et le lieutenant-colonel Picquart au procès Dreyfus, à Rennes, en 1899.
Don de Maurice Prévost, 1923.

Alfred Dreyfus à la barre, par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

Procès de Rennes : Mme Dreyfus et son père M. Hadamard se rendant à la prison militaire ;
carte postale appartenant à une série de 20 cartes sur le procès de Rennes, 1902.

Procès de Rennes : Colonel Cordier, M. Forzinetti et Mme Séverine,
carte postale appartenant à une série de 20 cartes sur le procès de Rennes, 1902.

Procès de Dreyfus : vue d’audience, 1899. Acquisition 2016.

Portrait d’Albert Clémenceau (en haut) et Edgar Demange par Charles Paul Renouard.
Extrait d’un album de 76 lithographies originales du procès Dreyfus.
Exemplaire de Joseph Reinach (acquisition 2018).

Henri Ibels – Mauvais souvenir de Rennes – 1899.
Evocation de l’attentat dont a été victime Fernand Labori, avocat de Dreyfus, lors du procès de ce dernier à Rennes (août 1899). Frappé d’une balle dans le dos, l’avocat n’a pas été gravement blessé et a pu reprendre sa place à l’audience quelques jours plus tard. Ses adversaires ont alors fait courir le bruit que l’attentat contre Labori était imaginaire.

Emile Zola : lettres à Fernand Labori 1899

Août septembre 1899 : Zola, après l’attentat dont a été victime Labori le 14 août, lui adresse des vœux de prompte guérison. Après le retour de l’avocat à la barre le 22 août, l’écrivain presse Labori de demander la participation de l’Allemagne au procès. Malgré les démarches faites en ce sens par le gouvernement français, les autorités allemandes, qui ont déjà déclaré n’avoir eu aucun rapport avec Dreyfus, refusent d’intervenir dans une affaire intérieure française.

« Affaire Zola – Hommages au martyr, hommages au sauveur. Vive la justice, Vive le vainqueur ! »,
carte postale satirique allemande, 1906.