Juliette Veillier est née le 9 novembre 1899 à Fresnes, d’un père directeur de l’établissement pénitentiaire et d’une mère sans profession. Elle a une sœur, Lucienne, qui deviendra agrégée de lettres et deux frères dont l’un, Maurice, deviendra fondé de pouvoir à la banque de Paris et des Pays-Bas. Juliette est élevée dans la tradition catholique.

Portrait par Harcourt- Vers 1960.

Après une licence de droit à la faculté de droit de Paris et une licence es-lettres, Juliette suit les cours d’Oxford et part pour les Etats-Unis, d’où elle revient diplômée « Bachelor in Law ».

Elle s’inscrit au Barreau de Paris et est admise au tableau le 7 février 1922. Elle devient la collaboratrice de Me Fernand Payen. Elle poursuit son cursus universitaire et devient docteur en droit pour sa thèse intitulée Le grand juge Marshall et le droit des gens (Jouve et Cie, 1923).

En 1924, elle s’inscrit au concours d’éloquence de la conférence Berryer et remporte le prix Berryer. La Conférence Berryer, qui existe depuis 1871, est un lieu d’entraînement des candidats au concours de la Conférence des avocats du barreau de Paris. Les critiques qu’ils y endurent visent à améliorer la qualité de leurs discours. Elle participe également à la reconstitution par cette conférence du procès de l’empoisonneuse Maria Lafarge, née Marie Cappelle en interprétant son rôle (Excelsior 21 mars 1924).

Elle s’inscrit ensuite à la célèbre conférence du Stage, où peu de femmes sont encore élues (Jeanne Rospars, 3e secrétaire en 1922 et Lucile Tinayre, 5e secrétaire en 1923). Elle devient en 1925 2e secrétaire de la Conférence, ce qui lui donne « le grand et délicat » honneur de prononcer un discours lors de la rentrée du Barreau l’année suivante : « Melle Veillier, secrétaire de la Conférence du stage, rendra hommage à ses aînées dans la carrière » explique le journaliste Jean Delage de l’Echo de Paris lors d’une interview.

Juliette Veillier : « Aujourd’hui, nous les femmes avocats, nous avons, dans la carrière, les mêmes difficultés que les hommes. Nous devons, par notre travail nous assurer une place honorable, mais nous n’avons plus en dehors de nos études, à soutenir des luettes souvent déprimantes. Le chemin est libre. C’est à nos aînées que nous le devons ». « […] je parlerai aussi des avocates d’aujourd’hui, de celles de ma génération, de leur situation, et je veux surtout dire au public ce que nous sommes. On a souvent tendance à nous mal juger. Certes il est peut-être des amateurs parmi les femmes avocates mais n’en est-il pas parmi les hommes ? ». Elle affiche alors publiquement son féminisme : «Vous avez foi, mademoiselle en l’avenir des femmes au barreau ? Parfaitement ! on pourra voir plus tard si la proportion des femmes qui réussissent est moindre que celle des hommes. Mais d’avance j’en doute. Je vous le redis : tout est question d’individualité de vocation. Pourquoi ne pas croire en nous ? ».

Lors de la rentrée 1926, Juliette Veillier confie au journaliste Pierre Bret des Annales politiques et littéraires sa joie et sa chance de n’être que 2e secrétaire : « La grande joie, dit-elle, c’est d’être seconde secrétaire parce que la première doit faire dans son discours l’éloge funèbre d’un bâtonnier défunt. Ce n’est pas toujours drôle, tandis que la seconde secrétaire choisit son sujet. C’est la grande jouissance de parler devant un public d’élite d’un sujet qu’on a choisi ». Mais elle s’affranchit des usages qui veut que le 2e secrétaire évoque dans son discours un procès historique : elle prononce un discours dans lequel elle trace le portrait du Mahatma Gandhi. Et quel discours….

Odette Simon, journaliste à la Française rapporte à ses lectrices : « Les avocats se pressent en foule ; cette année ils étaient peut-être plus nombreux encore que de coutume, attirés par une nouveauté extraordinaire : une femme allait prononcer un discours de rentrée […] Elle se leva, grande, mince, le visage fin et allongé, les yeux clairs brillants d’intelligence et du rayonnement de sa pensée puissante ; elle semblait descendue d’un vitrail gothique, pour parler d’une voix grave, un peu sourde, mais très joliment timbrée, de paix, de renoncement d’idéal… ». Applaudissements unanimes.

« Oh ! le beau discours qu’a prononcé au palais Me Juliette Veillier, à l’occasion de la rentrée solennelle de la Conférence su stage ! Ce ne sont pas seulement les amis du beau langage qui en auront éprouvé du plaisir, mais aussi, mais surtout les idéalistes, ceux qui croient, envers et contre tout, comme l’a si bien dit Melle Juliette Veillier, « qu’il faut dans le monde, un peu moins de machines et beaucoup plus d’âmes »(La Jeune République 10 décembre 1926).

Le Bâtonnier Henri Robert qualifie ce discours de remarquable, le Bâtonnier en exercice, Me Aubépin est tout aussi élogieux : « Me Juliette Veillier, qui avait choix de son sujet, prononce la défense de Gandhi. J’avais attiré son attention sur les difficultés du sujet qu’il fallait traiter, sans froisser la susceptibilité anglaise [l’usage veut que les deux premiers secrétaires présentent en amont le sujet de leur discours pour validation] ; mais Me Juliette Veillier qui est un esprit remarquable s’en est admirablement tirée. Elle rappelle que le juge anglais avant de rendre sa sentence, a dit à l’agitateur hindou : « je suis obligé de vous condamner ; mais pour vous montrer mon estime, je vous laisse le choix de votre peine » (L’Intransigeant 5 décembre 1926).

Et le lendemain, Juliette Veillier est à la une de la plupart des journaux, en France comme Outre-Atlantique : « Une grande première au Palais » selon l’Intransigeant du 4 décembre 1926 ; « For fisrt time, Woman will Adress Lawyers » selon le Chicago Tribune et le Daily News de New York du 30 novembre 1926, qui consacre un encart à cet événement en première page !

Juliette Veillier poursuit ensuite sa carrière, menant de front son activité d’avocate et de féministe. Elle préfère plaider aux Assises que de s’occuper des affaires de procédures civiles. En 1928, elle défend un assassin d’origine kabyle, coupable d’avoir égorgé son cousin germain, en pleine rue d’Alfortville, au motif que le défunt partageait des relations avec sa femme. « Hier une avocate plaidait devant le jury. Salle presque vide, public de vacances. L’affaire n’avait point été annoncée à l’avance à grand fracas. Et pourtant elle était intéressante. L’avocate qui plaidait Me Veillier est une de celles qui tiennent aujourd’hui une des premières places au barreau féminin. […] elle a de l’autorité de la chaleur, discute avec une rare intelligence. Elle sait improviser, tirer parti de tous les incidents d’audience avec une habileté supérieur que pourraient lui envier bien de ceux qui s’intitulent eux-mêmes « Spécialistes de Cour d’Assises ». Il est seulement dommage qu’on n’ait pas l’occasion de voir plus souvent son nom sur l’affiche du rôle des assises » écrit Georges Claretie dans le Figaro du 8 juin 1927. Les femmes avocates ont encore du chemin devant elles pour être reconnues du grand public. Il introduit d’ailleurs son article en précisant que certaines avocates plaident « infiniment mieux que certains de leurs confrères hommes qui font une réclame outrancière, envoient des notes à la presse toutes les fois qu’ils plaident […] ».

Elle s’illustre par deux fois en 1930 lors de deux affaires, qui font la une de la presse.

En février 1930, éclate l’affaire Violette Morris contre la fédération sportive française féminine. Violette Morris est alors une championne sportive polyvalente, détentrice de plusieurs records du monde. Elle a intégré la Fédération en 1919. En 1928, peu avant les J.O. d’été, son renouvellement de licence par la Fédération est refusé sur la base de deux motifs : son homosexualité, résumée en une accusation de comportement inapproprié dans les vestiaires avec les autres sportives, et son port de vêtements masculins. En réponse, elle porte donc plainte contre la fédération et lui demande 100 000 francs de dommage et intérêts. Le procès se déroule devant la 3e chambre du Tribunal civil ; Juliette Veillier est, avec sa consœur Yvonne Netter, avocate de la Fédération. Si son homosexualité n’est pas abordée explicitement, les avocats de Violette Morris, Mes Henri Lot et Jeanne Girard plaident que la championne avait commencé à revêtir le pantalon masculin aux ambulances où elle servait pendant la guerre. « C’était pour plus de commodités ! et plus pratique encore lui avait paru le vêtement d’hommes aux exercices sportifs ». La Fédération quant à elle ne voit aucun inconvénient à cette façon de se singulariser et souffre « du discrédit qu’engendraient pareilles coutumes. Pour l’Ordre public et pour l’Ordre tout court il importait qu’aux réunions de la Société les adhérentes observassent, dans une certaine mesure, les habitudes vestimentaux de leur sexe » (L’Avenir, 27 février 1930). Le jugement confirme la radiation de Violette Morris.

Violette Morris et son avocat Me Lait. Cliché Graphic Photo Union. 1930. Acquisition 2016.

En Décembre, aux Assises de la Seine, elle défend Charles Louis Bornais, accusé d’avoir étranglé sa femme et son fils, sans raison et dans des conditions abominables. Même si Juliette a défendu son client avec courage et talent, celui-ci est condamné à mort. Ce procès a été mis en première page de la presse nationale et régionale, avec plusieurs photographies de Juliette Veillier et son client.

Elle plaidera 14 fois aux assises tout au long de sa carrière.

Féministe, elle l’est et le revendique : « Féministe ? certes je le suis […]. Mais je ne veux qu’aucun souci d’ordre politique puisse se mêler à ce féminisme pour le moment. Les femmes doivent se grouper pour faire triompher leur idée sans déjà prendre position à l’égard de la politique. Elles doivent s’efforcer de s’améliorer, de se perfectionner et de progresser dans toutes les professions auxquelles elles sont aptes.

Je ne puis parler que de celles que je connais bien. L’hostilité que la femme a rencontré au début n’existe plus, un léger handicap peut-être subsiste. Certains clients ont encore un peu de méfiance. Mais quand un homme choisit pour défenseur une femme, c’est que véritablement, il la veut parce qu’il a reconnu son talent et son dévouement.

Il faut se monter digne de la confiance que l’on veut inspirer et celle-ci s’impose » explique-t-elle à L’Union internationale des femmes le 10 mai 1934. Elle s’engage en 1930 dans l’association des femmes juristes, créée par sa consœur Suzanne Grinberg et dont le but est de développer entre les femmes de même formation et de même culture, bien qu’exerçant des professions parfois différentes des sentiments de solidarité et d’entraide et de créer entre elle l’esprit de fraternité.

Puis en 1934, elle devient présidente de l’association des femmes des françaises diplômées des universités (créée en 1919) dont le projet est d’établir des relations entre les femmes qui ont bénéficié de l’enseignement universitaire ; fédérer les sociétés françaises de femmes professeurs médecins, avocates, anciennes élèves de l’Université ou des grandes écoles.

Entre 1939 et 1945, ayant quitté Paris pour Genainville, elle est restée active au Barreau, étant à la disposition de « ses camarades mobilisés ».

En 1952, elle est proposée pour obtenir la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Elle lui sera attribuée par décret du 5 mai 1955.

Elle démissionne du Barreau de Paris en 1981 « avec regret », écrivant au Bâtonnier : « le Barreau a été toute ma vie et j’en garde des souvenirs précieux ».

 

Auteur : Cindy Geraci, Directrice du Musée, décembre 2020.

 

Sources et Bibliographie

Plusieurs sources sont indiquées dans le texte via des liens.

 

  • Sous la direction de Christine Bard, Femmes et Justice pénale XIXe-XXe siècles, Presses universitaires de Rennes, novembre 2002.
  • Publication de Juliette Veillier-Duray : Le grand juge Marshall et le droit des gens, Paris : Jouve & Cie, 1923 [109]
  • Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur – Musée de la Légion d’Honneur : dossier d’attribution du titre de Chevalier LH.