Portrait d’Alfred Dreyfus

L’affaire Dreyfus – 1re partie

Alfred Dreyfus est issu d’une vieille famille juive alsacienne qui a quitté Mulhouse après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne. Lorsque l’affaire éclate, Dreyfus est âgé de 35 ans. Ancien élève de l’Ecole polytechnique et de l’Ecole de guerre, il est officier stagiaire à l’état-major. Dreyfus est marié et père de deux enfants.

Le 15 octobre 1894, il est convoqué au ministère de la Guerre où le commandant Du Paty De Clam lui dicte quelques lignes avant de l’arrêter pour trahison. Incarcéré à la prison du Cherche-Midi, Dreyfus ignore au moment de son arrestation qu’il est soupçonné d’être l’auteur d’une lettre énumérant un certain nombre de documents relatifs à des problèmes militaires, notamment d’artillerie. Cette pièce, appelée le « bordereau », avait été interceptée à l’ambassade d’Allemagne par le service de renseignements de l’état-major français. Tout laissait penser qu’elle avait été rédigée par un officier français. Les quelques membres de l’état-major chargés d’enquêter à ce sujet concluent hâtivement à la culpabilité de Dreyfus en se fondant sur une certaine similitude d’écriture que la dictée de quelques lignes du bordereau, opérée le 15 octobre, était censée confirmer. Cette conviction trop vite acquise est bientôt partagée par le chef de l’état-major, le général De Boisdeffre et par le ministre de la Guerre, le Général Mercier. Ce dernier décide l’arrestation de Dreyfus.

Portrait d’Alfred Dreyfus, par Charles Gerschel, 19e siècle

Le Figaro, 30 novembre 1897

Dès la fin du mois d’octobre, la presse s’empare de l’affaire et fait pression sur l’armée invitée à châtier le traître.

Après une instruction qui n’apporte aucune preuve de la culpabilité de Dreyfus, le procès s’ouvre devant le Premier Conseil de guerre le 19 décembre 1894. L’accusé est défendu par Me Edgar Demange, célèbre pénaliste. L’avocat affirme que le bordereau n’est pas l’œuvre de Dreyfus et plaide l’acquittement. Mais Demange et Dreyfus ignorent qu’au mépris de toutes les règles de droit le Conseil de guerre reçoit en cours de délibération la communication d’un dossier secret, transmis par le ministre de la Guerre et contenant des documents authentiques ou fabriqués, censés prouver la culpabilité de l’accusé. Le 22 décembre 1894, le Conseil de guerre déclare à l’unanimité Dreyfus coupable et le condamne à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire. Celle-ci a lieu en public dans la cour de l’Ecole militaire le 5 janvier 1895. Dreyfus passe ensuite quelques jours à la Santé avant d’être transféré à l’île de Ré et de là en Guyane où il sera détenu de mars 1895 à juin 1899, dans des conditions morales et physiques extrêmement éprouvantes.

Lucie Dreyfus écrit une lettre au Capitaine Meyer, instructeur à l’école d’application, mardi mi-décembre 1894, dans laquelle elle lui demande son soutien comme témoin de moralité avant le Conseil de guerre du 22 décembre 1894.

Je suis certaine que vous avez été très impressionné de l’horrible accusation qui pèse sur mon mari ; le pauvre garçon a terriblement souffert pendant ces deux mois et il a grandement besoin d’être soutenu par ses amis pour l’aider à se justifier pleinement. Maître Demange qui a fais communication du dossier est stupéfié du néant de l’accusation et a la conviction absolue de l’honorabilité de mon mari. Aussi, viens-je, Monsieur, faire appel à votre longue et étroite amitié, à l’affection qui vous a toujours unis tous deux et vous prier de venir affirmer devant le Conseil de guerre que mon mari est incapable d’avoir commis une lâcheté, qu’il est une nature loyale et franche, qu’il est animé de sentiments très élevés et qu’il aime son pays par-dessus tout. Je vous remercie, cher Monsieur, au nom de mon mari en attendant qu’il le fasse lui-même ce dont je me réjouis.
Je vous serre cordialement la main.

Lucie Dreyfus
53 rue de Chateaudun

Jugement du Conseil de guerre, coupure de presse, 1894. Extrait du dossier de plaidoirie de Fernand Labori pour la défense d’Emile Zola

Me Edgar Demange, après la seconde condamnation de Dreyfus
Gravure de Paul Renouard (1899)

Organisation de la défense de Dreyfus – Premier procès – 1894

Matthieu Dreyfus, frère d’Alfred, était en charge de trouver des témoins de moralité : si les amis de la famille acceptèrent simplement, il fut plus difficile du côté des anciens supérieurs et camarades de Dreyfus. Plusieurs ont confié à Matthieu être convaincu que Dreyfus n’était pas coupable, mais se sont dérobés, n’ayant pas le courage d’aller contre les opinions de leur Etat-Major.

Le procès s’est déroulé à huit clos à l’hôtel de guerre, qui était une dépendance de la prison militaire située de l’autre côté de la rue du Cherche-midi.

Le Siècle, 21 janvier 1898. Lettre de Dreyfus à Edgar Demange écrite le soir de sa dégradation le 5 janvier 1895. Extrait du dossier de plaidoirie de Fernand Labori pour la défense d’Emile Zola

Le 5 janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus est solennellement dégradé dans la cour de l’École Militaire, à Paris, devant des détachements de la garnison de Paris, des diplomates et des journalistes. Plusieurs milliers de personnes, à l’extérieur de l’École, assistent à cet événement.
Le général Darras, à cheval, prononce les « mots sacramentels » Alfred Dreyfus, vous n’êtes plus digne de porter les armes. Au nom du peuple français, nous vous dégradons. ».

Carte postale satirique, dessin d’Orens, 1904.

Lors de son exil, Dreyfus est autorisé à correspondre avec son épouse, une fois par mois, sur un papier numéroté et paraphé, sachant que sa correspondance est lue par l’administration qui a le droit de retenir ses lettres.

Copie de lettre d’Alfred à Lucie Dreyfus 4 septembre 1897. Extrait du dossier de plaidoirie de Fernand Labori pour la défense d’Emile Zola.

Lettre de Marie et Georges Hadamard, sœur et frère de Lucie, 24 novembre 1896, avec cachet de censure de l’administration pénitentiaire.

Je suis heureuse de venir causer avec toi ; de pouvoir te dire que plus le temps s’écoule plus notre espoir grandit, plus notre confiance devient absolue. Je voudrais que cette lettre t’apporte l’écho de nos pensées qui toutes sont concentrées vers un même but, dont nous nous rapprochons peu à peu. Je voudrais te faire partager nos espérances pour te soutenir et t’aider à supporter une vie désolée. Mais tu es plus fort encore que nous tous, et c’est nous qui nous tournons vers toi dans les moments de défaillance, pour trouver devant ton attitude sublime, l’énergie persévérante désespérée, qui doit nous faire triompher des difficultés inouïes. Quand je me reporte aux bons moments d’autrefois, je ne puis m’empêcher de croire qu’ils reviendront bientôt, que nous verrons de nouveau la figure si aimée au milieu de nous. Ce temps d’épreuve a assez duré, le malheur doit être lassé de s’attaquer à nous ; les jours heureux vont revenir, n’en doute pas, espère le avec nous. Il a suffi d’un instant pour nous précipiter dans ce gouffre, il n’en faudrait pas plus pour remettre les choses dans leurs cours normal. – et quel bonheur ce sera alors !
Tu verras par ces lettres que toute la famille est bien ; la machine humaine est décidément bien solide pour résister ainsi à de terribles choses ; et il faut s’estimer heureux que pas une des santés qui nous sont chères, n’ait été ébranlée par ces émotions incessantes. Les enfants font notre joie. C’est le rayon de soleil qui éclaire notre vie, mais qui malheureusement ne peut arriver jusqu’à toi. Ce sont de délicieuses créatures, qui tentent bien déjà combien leur père a droit à leur affection, car ils parlent sans cesse, et le demandent auprès d’eux. Le revoir, c’est leur grand désir et notre vœu ardent à tous. Je t’embrasse comme je t’aime, bien affectueusement,

Marie

Je tiens à te dire, mon cher Alfred, combien je pense à toi, à t’exprimer que tu es notre seule et unique préoccupation, que le souci de ton honneur est le seul auquel nous nous arrêtions, et que j’appelle de toutes mes forces le jour si ardemment désiré où tu pourras revenir au milieu de nous, libre honoré par tous. Ton frère qui t’aime,

Georges