Le Gang des Tractions avant est composé de Jo Attia, dit Jo le boxeur (ancien rescapé de Mathausen), Raymond Naudy dit le Toulousain (ancien F.F.I), Henri Fefeu dit Riton le tatoué, Georges Bouscheseiche dit Gros Georges (ancien malfrat devenu agent de la Gestapo française), Marcel Ruard dit le Gitan (ancien combattant de l’armée des Alpes), Abel Danos dit le Mammouth (ancien agent de la Carlingue – Gestapo française).
Entre février et novembre 1946, ils commettent une quinzaine de braquages en région parisienne, sur la Côte d’Azur et en Provence, utilisant toujours la même méthode : à bord de grosses cylindrées, dont la fameuse Citroën éponyme, armés de pistolets mitrailleurs, ils s’en prennent principalement aux convoyeurs de fonds et accumulent les millions dérobés.
Le premier braquage se déroule à Paris le 7 février contre un fourgon du Crédit lyonnais, entre le faubourg du Temple et la rue Parmentier « comme dans un film américain bien réglé » selon le journal Combat du 8 février 1946, et sans trop de violence, ce qui ne sera pas le cas des autres braquages. En effet, l’opération du 5 avril à Marseille se soldera par la mort de l’un des employés des établissements Borie. Ce braquage permettra d’une part l’arrestation de Maurice Daguerre, conducteur de l’auto et de Marcel Ruard, chef de cette expédition, et d’autre part de récupérer une partie de l’argent et trois voitures luxueuses. Les deux interpellés seront défendus par Me Jacques Cotta (1908-1971), maire de Nice. Face à de nombreuses critiques sur cette défense, Jacques Cotta déclarera : « Lorsque je défends Ruard ou Laguerre, compromis dans l’affaire des P.T.T, je ne sais pas ce que feront les tribunaux compétents. Mais je sais que je défends des hommes qui, pour la France, ont risqué, souffert et saigné. D’autres que moi en attesteront, soyez tranquille. Et je les défendrai parce que, à mon sens, s’ils en sont où ils en sont, c’est vraisemblablement parce que, revenant des maquis, tout couverts encore de sang, de poussière et de gloire, ils ont trouvé siégeant dans les Comités de Libération, certains épiciers ».
A Paris, le gang des tractions-avant poursuit ses aventures. Il attaque un fourgon postal le 24 août 1946 et vole 7 956 000 francs. Mais l’étau policier se resserre petit à petit autour du gang ; Pierre Loutrel est identifié en septembre comme le chef du gang, devenant alors en France l’ennemi public n°1. Pierrot-le-Fou », ou encore « Pierrot-la-Valise », déjà connu des services policiers pour son passé au service de la Carlingue, la Gestapo française, où il participait à toutes les expéditions nazies, « s’y montrant d’une cruauté qui stupéfiait même ses supérieurs allemands » rapportera le journaliste de l’Aube du 28 septembre 1946. Il y fera la connaissance d’Abel Danos. En juin 1944, il devient membre du réseau de résistance Morhange, spécialisé dans l’exécution des traîtres et agents allemands, sous le pseudonyme du lieutenant Pierre Déricourt. Pierre Loutrel est né en 1918 dans la Sarthe d’une famille de fermier. Il s’enfuit du lycée à l’âge de 14 ans dans l’espoir de faire le tour du monde mais échoue et revient dans la maison familiale. Il s’engage en 1934 dans la marine marchande, puis dans un bataillon d’infanterie, la Bat’d’Af où il se lie d’amitié avec Joseph Brahim Attia (Jo Attia), son compagnon de chambrée. Les bataillons d’infanterie légère d’Afrique, les Bat’d’Af, regroupent une majorité d’hommes ayant été condamnés par la Justice pour différentes crimes et délits. En 1938 Pierre exerce à Paris comme garçon de café, métier dans lequel il s’ennuie, et bascule dans les cambriolages. Il retrouve son ami Jo Attia durant la guerre, mobilisé dans les corps francs. La période d’occupation les sépare une nouvelle fois.
Suspectés de fréquenter le chalet des Marronniers à Saint-Maur et l’Auberge à Champigny, le gang échappe de justesse à la police de manière rocambolesque le 25 septembre 1946. Ils réussissent à s’enfuir sauf André Decurzier, qui blessé dans cette fusillade, mourra à l’hôpital Saint-Antoine, sans avoir parlé.
Fruit de renseignements et de filatures, Henri Fefeu sera arrêté dans un bar de Montmartre le 30 septembre, localisé en téléphonant à un garage de la Ferté-sous-Jouarre alors surveillé par la police, marquant le début de la fin du gang. Henri ne parlera pas, et mettra fin à ses jours en prison.
En octobre, Loutrel, Attia et Naudy attaquent un transporteur de fonds à Bercy et s’emparent de la recette d’un groupe de négociants en vins. A la suite d’un quiproquo, ils échappent de peu à un piège tendu par l’inspecteur Borniche à d’autres malfaiteurs le même jour.
Après l’échec d‘une tentative de braquage d’employés de la Banque de France à Versailles, Pierre Loutrel attaque le 6 novembre 1946 une bijouterie rue Boissière -qui se solde par la mort du bijoutier. Accompagné de ses deux complices Jo Attia et Georges Boucheseiche, il s’enfuit à bord de leur traction avant et se tire accidentellement une balle dans la vessie. Il meurt. Son corps ne sera retrouvé qu’en 1949, ses complices l’ayant enterré sur une île de la Seine, en face de Limay. Les médecins qui l’avaient soigné ont confirmé que Pierre a été blessé d’une balle au ventre tirée de haut en bas et qu’ils l’avaient opéré le 7 novembre 1946. Mais ses complices l’ont sorti de la clinique quelques jours après : « c’est ce voyage qui aurait été mortel à l’opéré » (Le Monde, 13 mai 1949). Entre 1946 et 1949 lui sera attribué de nombreux méfaits ; la police n’avait pas l’information de la mort de Loutrel et tout le monde s’y perd, d’autant qu’au même moment un autre truand porte le même surnom (Pierre Carrot, dit Pierrot-le-Fou n° 2).
Lors de son arrestation, Jo Attia affirmera, comme d’autre, que Pierre était toujours vivant et vivait en Argentine. Son complice Edmond Courtois dit « Monmon » expliquera aux policiers lors de son arrestation en mai 1949 que Pierre est mort, enterré dans l’Ile de Guiller. Les analyses du corps retrouvé confirmeront ces informations. Pierre Loutrel sera officiellement reconnu décédé par un jugement déclaratif du tribunal de Seine-et-Oise en juillet 1951.
Le 11 juillet 1947 Jo Attia, bras droit de Pierrot-le-Fou, est arrêté à Marseille ; il comparaît le 12 mars 1948 devant la 5e chambre de la cour d’appel d’Aix-en-Provence avec Marcel Ruard. Les deux comparses ont déjà été condamnés à 8 mois de prison pour tentative, mais la cour d’appel élève les sentences prononcées à 10 mois. Le 19 mars Joe Attia est transféré à la prison de Corbeil ; Marcel Ruard à la prison des Baumettes. Ils projetaient tous les deux une future évasion le 21 mars. Joe est condamné une nouvelle fois en avril 1948 par la 17e chambre correctionnelle à 18 mois de prison pour des faits de cambriolages et d’agressions remontant à l’occupation, et incarcéré à Fresnes. Il est jugé de nouveau en 1953 par la Cour d’Assises de la Seine pour une affaire de cambriolage datant de 1946. Lors de ce procès, son défenseur Me Carboni fait venir, à son insu, plusieurs anciens de Mauthausen comme témoins. Jo « voit défiler d’anciens compagnons qu’il reconnaît […] mais aussi des déportés dont il ne souvenait plus » écrira sa fille. « Il apprend que l’un de ceux qu’il a porté sur son dos pendant ces terribles marches forcées est Robert Lecourt qui devait devenir Garde des Sceaux » (Robert Lecourt 1908-2004, avocat, garde des Sceaux 1947-1949 puis 1957-1958). La Cour, les jurés et le public sont stupéfaits : celui qu’il considérait comme un voyou, lieutenant de Pierrot-le-Fou, est montré comme un résistant, déporté et homme de cœur dévoué pour ses camarades. Joe Attia est condamné à trois années d’emprisonnement pour un cambriolage et ressort libre. Il comparaît une énième fois en décembre 1953 pour vol de pneus à Issy-les-Moulineaux et est acquitté.
Né en 1916, orphelin d’un père mort au front en 1917, Jo Attia, placé comme berger, s’enfuira de la ferme où son patron le martyrisait. Il est condamné pour vagabondage puis pour vol avant de rejoindre les Bat’d’Af, où il rencontre Pierre Loutrel en 1937. Il quitte ce bataillon et la Tunisie en 1940, après l’armistice, et revient en France en zone libre, Marseille, Lyon puis Paris en janvier 1941. Il s’engage dans le réseau de résistance « Century », tout en continuant sa vie de malfrat. Rattrapé par la Gestapo, son ami Abel Danos le sauve de la mort en le faisant embarquer dans un camp de déportés. Jo sera déporté au camp de Mauthausen. De retour à Paris après la Libération, il contacte son ami d’avant-guerre Georges Boucheseiche et collabore avec lui pour de petits larcins. Il revoit également Pierre Loutrel, commence alors l’épopée des tractions avant. Après le procès en cour d’Assises, ses amis de déportation veulent l’aider à s’en sortir et l’aide à acquérir un bistrot (son rêve depuis toujours) en province, loin des amis du milieu. Mais il abandonne et revient à Paris où il s’associe à la propriétaire du Montmartre-bar. Cet établissement devient une boîte à la mode attirant le tout Paris : acteurs, hommes de lettres, etc, mais aussi d’anciens compagnons de Fresnes, pour qui Jo restait celui qui arrange les affaires et donnait des conseils. Après un passage dans les services secrets, Joe Attia commet une nouvelle escroquerie (chantage et extorsion de fonds) et se fait arrêter le 10 avril 1959. Il est rapidement remis en liberté provisoire. Il créera par la suite de nombreux établissements de divertissement et de jeux en Afrique, notamment à Abidjan, avec l’aide de son ami Boucheseiche. Il deviendra même l’un des gardes du corps du président Houphouët-Boigny ! Mais sa vie de voyou ne le quitte jamais, il sera condamné à plusieurs reprises jusqu’en 1967, où emprisonné à Fresnes il est remis en liberté parce qu’alité en raison d’un cancer du larynx, duquel il décèdera quelques mois plus tard.
Le 29 juillet, Georges Boucheseiche est arrêté à Mandelieu et sera condamné à un an de prison pour recel de cadavre (il a enterré Pierre Loutrel), puis à sept ans de travaux forcés pour avoir dévalisé un diamantaire sous l’Occupation (faux policier allemand, il attaque une bijouterie en 1944 et fréquente la rue Lauriston). Georges Boucheseiche, né en 1914, était un proxénète, cambrioleur, auteur de violence. Dans l’affaire du Gang des Tractions avant, il est également soupçonné d’avoir assassiné Marinette (Jacky) Chadefaux, la maîtresse de Pierre Loutrel, qui le rendait responsable (ainsi que Jo Attia), de la mort de son amant et menaçait de les dénoncer. Son nom sera connu du grand public avec l’affaire Ben Barka, où il participe à l’enlèvement de Ben Barka. Il fut condamné en 1967 par contumace à la réclusion à perpétuité. Il serait décédé au Maroc entre 1972 et 1974.
A la mort de Pierre Loutrel, Raymond Naudy et Abel Danos se lancent dans une sanglante équipée dans le sud de la France puis en Italie du Nord, faisant de nombreuses victimes.
Raymond Naudy, horloger, s’engage dans Résistance, puis rencontre Pierre Loutrel à la Libération. Il participe à la plupart des agressions du gang des Tractions avant et est abattu à Menton alors que Danos arrive à fuir et regagner Paris. Il sera arrêté le 30 novembre 1948 pour cambriolage et condamné une première fois à mort par la cour de justice de la République en mai 1949, pour les exactions dont il s’est rendu coupable sous l’Occupation, puis une seconde fois par le tribunal militaire en juin 1951. Il sera fusillé au fort de Montrouge en mars 1952.
Quant à Abel Danos, surnommé « Bibil », « le Danois », « le Mammouth », l’inspecteur Charles Chenevier, qui a procédé, de nombreuses fois, à ses arrestations, le considérait comme l’une des figures légendaires du banditisme français. Né en 1904 en Haute-Garonne d’un père maçon et d’une mère ménagère, Abel bascule rapidement dans la délinquance en inventant un coup « fumant » : le releveur des compteurs à gaz. Il visite ainsi des domiciles cossus et en repart les bras chargés de biens. Sa première fois devant les tribunaux, pour vol (en 1919 par le Tribunal pour enfants et adolescents de Dijon) se soldera par un acquittement. Il franchit le cap de la grande criminalité lors de sa participation au hold-up de la rue de la Victoire le 24 février 1941 : à bord d’une traction avant, Abel et ses complices s’emparent d’un chariot de livraison de fonds, ouvrant le feu, tuant un employé, en blessant grièvement un autre. Ancien des Bat’d’Af, il collabore ensuite avec la Gestapo (la Carlingue), puis avec le Gang des Tractions avant. Abel Danos sera condamné une vingtaine de fois durant son existence, jusqu’en 1951 où le tribunal militaire permanent de Paris applique la décision ultime : Abel est condamné à mort et exécuté le 14 mars 1952.
Archives du Musée du Barreau
Le Musée conserve dans ses fonds plus de 70 documents, composés de photographies, documents judiciaires, lettres et presse d’époque sur cette affaire. La majorité des fonds provient de la collection de Philippe Zoumeroff, acquisition 2014.
Bibliographie
Stéphane Vincentanne, la bande à Pierrot le fou, Champ libre, 1970.
Charles Chenevier, La grande maison, presses de la cité, 1976.
Nicole Attia, Jo Attia, Gallimard, 1974.
Eric Guillon, Abel Danos, le Mammouth, entre Résistance et Gestapo, Fayard, 2006.
Criminocorpus : Le gang des Tractions avant, Jean Claude Vimont.